Je suis partie à Mbour, ville de la petite côte du Sénégal, à quelques kilomètres de Saly, pour ceux qui connaissent le Sénégal touristique. Le beau-père de Pierre, mon colocataire et collègue, vit là-bas avec sa famille, quand il n'est pas en France. C'est donc chez lui que nous nous rendons, de pied ferme, le vendredi matin aux aurores (dans le taxi à 5h30 pour éviter les incontournables bouchons à la sortie de Dakar, bouchons encore plus terribles les veilles de fêtes !). Je dis de pied ferme... mais après une nuit de 3h (nous sommes un peu allés festoyer la veille), c'est plutôt la tête dans le c... que nous grippons dans le taxi. Arrivés à Mbour en un temps presque record, nous avons tout loisir d'accompagner Matar, le beau-père de Pierre, et un ami à lui, au marché aux bestiaux pour choisir leurs moutons. Ah... les deux toubabs au marché, ça n'a pas plut à certains qui nous dévisageaient comme si nous n'avions rien, mais alors absolument rien à faire ici, avec un regard empreins d'une amabilité toute relative. Faisant fis de ces personnes, nous arpentons le marché le front aussi haut que notre mal de crâne pouvait le permettre. Puis, profitant du fait que notre statut de toubab embarrassait fortement Matar et son voisin dans la négociation, nous nous installons un peu en retrait ; histoire également de poser un peu nos corps fatigués.
Matar est revenu quelques minutes... que dis-je... demi-heures plus tard, nous confier la garde de ce qui allait devenir notre festin du lendemain : Georges. Pierre a attribué ce nom plutôt étonnant à cette brave bête pour la simple raison qu'elle lui rappelait son oncle Georges, "poilu comme une mygale".
Encore quelques demi-heures d'attentes et nous voilà repartis en taxi, les moutons ficelés dans le coffre, sur les 19 kilomètres qui séparent le marché de Mbour.
Arrivés chez Matar, la nouvelle étape est celle du lessivage de l'animal. Au jet d'eau, on fait mousser le savon. Le seul hic dans l'affaire, est que le mouton est un animal, certes docile, mais d'une saleté rare. Une fois propre et rapidement séché au soleil, il n'a rien trouvé de mieux à faire de que pisser et chier sur le sable, pour, ensuite, s'allonger élégamment dedans. Comme dit un ami : "c'est probablement son marketing personnel".
Un petit tour en ville après la sieste avec Matar et ses trois jeunes fils (Dégé, Tala et Pape Omar) : coupe de cheveu et achat de sandales pour les jeunes, ballade au marché au poisson (un des plus grand du Sénégal), puis au marché tout court, mais la foule y était tellement dense que cela nous a épuisé en quelques minutes. On s'arrête à l'échoppe de la femme de Matar, Adama, où je rencontre mère et fille cadette, Nar, qui vendent des produits de beauté. Ces produits de beauté sont essentiellement des crèmes et lotions éclaircissantes... c'est fou cette manie qu'ont certaines femmes de se blanchir la peau à tout va !
Puis retour à la maison, où nous dinons tranquillement tous autour du plat d'une omelette, de quelques frites, d'oignons et de salade verte, accompagnés de pain. Oui, je sais pain ET frites ça fait double emploi, mais c'est bon !
Le Jour J
Au réveil, café, pain et beurre. Mais en quantité raisonnable, je sais que je vais passer une grande partie de la journée à manger.
9h00 Pierre creuse un trou dans la cours pour le sang. Après étude faite, il s'agit du plus gros trou du quartier.
Georges est à la diète depuis la veille au soir.
Les hommes sont partis à la prière de 9h, tous bien habillés dans leurs boubous de fête.
Puis retour à la maison, où ils se changent, puis les hommes, les vrais, rejoignent les voisins du quartier avec lesquels ils font la tournée des maisons pour égorger des moutons à la chaîne. J'attends patiemment dans la cours de Matar avec les filles....Je n'ai encore jamais vu un mouton égorgé et je me dis qu'un ça devrait suffire pour commencer...
10h30 Voilà les hommes qui déboulent en paquet d'un pas décidé. Ils chopent Georges, le couchent, et le maintiennent au sol, le cou au niveau du trou.
En quelques secondes l'opération est terminée, et les hommes filent vers une autre maison et retournent à leurs moutons. Il faut savoir qu'on estime à 600 000 le nombre de mouton égorgés au Sénégal cette année pour la Tabaski. Pour une population totale estimée à 11 millions d'habitants, dont 9,9 millions de musulmans, c'est plutôt pas mal ! Surtout qu'un mouton coûte la bagatelle de 50 000 F CFA minimum pour un tout petit mouton et les prix peuvent aller jusqu'à 150 000 - 200 000 F CFA pour un gros bélier. Un mouton de taille raisonnable, bien négocié à 80 000 F CFA, cela représente tout de même 120 euros ! Et dans les économies des ménages moyens sénégalais, ce n'est pas une petite somme du tout. Certaines familles se ruinent presque pour pouvoir payer le mouton chaque année, au point de n'avoir parfois presque plus rien pour manger dans les semaines qui suivent. Et puis la Tabaski, c'est biensur le mouton, mais également les boubous, les chaussures, le coiffeur, etc. Toute une série de dépenses annexes qui pèsent lourd sur un budget familial.
Pierre reste seul à maintenir l'animal mort qui continu pourtant d'avoir quelques mouvements réflexes.
Les garçons arrivent bien vite pour toucher la bête. Les couilles du bélier ont l'air de vraiment les passionner. Mets de choix, ils prendront un très grand soin à les dépecer, les nettoyer, et les cuire.
Matar revient après la tournée d'égorgement. C'est le moment de "souffler dans le mouton". Eh oui ! Pour décoller plus facilement la peau, à ce que j'ai compris, il pratique une incision sous la peau au niveau d'une patte arrière et souffle dans le mouton pour le gonfler. Après lui avoir garroter la carotide bien entendu, sinon ça fuirait par là. C'est étrange, rigolo et un peu dégue (quand même !) de les voir souffler ce mouton comme s'il s'agissait d'un ballon de baudruche. Gonfler un mouton n'est pas une mince affaire et Pierre et Matar se relaient pour parvenir à un gonflage acceptable de la bête.
Une fois gonflée, on la trimballe sur des sacs de riz découpé. Matar lui incise la peau pour dépecer un peu les pattes et l'arrière-train, afin de pouvoir dégage quelques os qui serviront pour le pendre au manguier.
Toute la famille s'y met pour attraper le gros George et l'attacher la tête en bas.
11h30-12h On commence à manger... et cela sans trop s'arrêter jusqu'à 15h... grillades, grillades et encore grillades, tout type de morceaux confondus. Avant de voir le spectacle de cette tuerie, je pensais que je n'aurais plus d'appétit, voire que je serais carrément mal à l'aise ou malade... mais bizarrement ou non, ce n'est pas le cas et, comme tout le monde, je suis bien contente quand les premières côtelettes sont cuites. J'aide un peu les filles à faire la sauce à base d'oignons, de bouillons cube, d'épices et de moutarde. J'épluche des patates pour les frites, tout en mangeant les bouts de viande que l'on me tend.
Adama, la mère de famille et première femme de Matar, débite la viande et prépare de petits tas de viandes, abats, morceaux de gras, etc. qui seront distribués aux voisins, notamment la famille d'en face, catholique. Ici, quand les musulmans font la fête, ils invitent les catholiques ; et l'inverse est également vrai.